Résumé.– Les capillaroscopies sont des techniques simples et non invasives de visualisation des
capillaires superficiels. Elles sont utilisées pour le diagnostic des microangiopathies, l’évaluation du
retentissement microcirculatoire des maladies vasculaires périphériques artérielles et veineuses, et la
recherche clinique à visée physiopathologique. La capillaroscopie périunguéale permet le dépistage de la
sclérodermie systémique, ce qui en fait l’examen clef du diagnostic étiologique du phénomène de
Raynaud. La mesure de densité capillaire « en pleine peau » est utile pour la quantification du déficit
circulatoire de l’insuffisance veineuse chronique et des artériopathies sévères. Elle est facilitée par les
techniques d’analyse d’images numériques qui permettent aussi l’appréciation des vitesses circulatoires
capillaires. Enfin, la mesure directe de la pression capillaire est possible, mais reste une technique de
recherche.
Introduction
Déjà pratiquées par Herman Boerhave au XVIIe siècle, les
capillaroscopies ont été appliquées à la médecine par Davis et Landau [8]
et introduites en France par Merlen [15]. Le principe en est simple : il
s’agit de la visualisation des microvaisseaux superficiels par
microscopie optique in vivo. Les applications cliniques ont désormais
rendu cette technique indispensable à la pratique de la médecine
vasculaire.
Capillaroscopie périunguéale
MATÉRIEL
La capillaroscopie périunguéale est sans doute la technique
d’exploration de la microcirculation la plus usitée en médecine, du
fait de ses applications dans les acrosyndromes vasculaires et les
connectivites. Il s’agit de la visualisation in vivo des capillaires
cutanés superficiels, ceux du derme papillaire, par microscopie
optique. Les systèmes optiques utilisés sont le plus souvent des
biomicroscopes ou des loupes binoculaires qui possèdent plusieurs
particularités [4, 20] :
– l’éclairage est incident (épi-illumination), si possible puissant, car
il conditionne le confort visuel, et en lumière froide pour éviter les
artefacts de vasodilatation ;
– les grandissements utilisés par les auteurs varient de 15 à 100, mais
les éléments d’intérêt diagnostique, notamment l’arrangement du
réseau capillaire, sont plus faciles à analyser à faible grandissement ;
– la profondeur de champ est importante, car elle conditionne la
netteté de l’image des capillaires qui ne sont jamais strictement dans
un même plan ;
– une distance frontale (objectif - objet) de plusieurs centimètres
permet d’examiner les sujets peu coopérants ou présentant des
rétractions palmaires ;
– la préparation de la peau consiste simplement en l’application
d’une goutte d’huile de microscope à immersion, et parfois en
l’abrasion de la couche cornée par application répétée de ruban
adhésif ;
– le recueil de documents est réalisé par l’intermédiaire d’un
appareil photographique ou d’une caméra vidéo attachés à l’une des
sorties optiques de l’appareil.
Les systèmes de vidéomicroscopie de contact, récemment apparus
dans l’industrie pour les processus de contrôle non destructif,
constituent une alternative intéressante aux capillaroscopes
classiques et permettent l’examen de tout autre site des téguments
cutanés.
MÉTHODE
Le capillaroscope ne visualise pas la paroi du capillaire, mais les
érythrocytes qui en moulent la lumière. Ce sont donc seulement les
capillaires fonctionnels au moment de l’examen qui sont visibles. Ils
prennent l’aspect de boucles en « épingles à cheveux » plus ou moins
rectilignes, à peu près parallèles entre elles, alignées en plusieurs
rangées et orientées vers l’extrémité du doigt (fig 1). La recherche
d’anomalies morphologiques doit être réalisée systématiquement sur
l’ensemble des dix doigts :
– les extravasations de globules rouges entraînent des dépôts
brunâtres qui migrent vers le rebord épidermique ; ces
microhémorragies témoignent d’une souffrance capillaire qui peut
être liée à une microangiopathie, mais aussi à des crises vasomotrices
intenses ou des traumatismes ;
– la présence de tortuosités ou de ramifications peu nombreuses n’a
pas de signification pathologique précise, alors que l’existence de
nombreuses boucles richement ramifiées (feuilles de fougères,
buissons) est évocatrice de connectivite ou de vascularite (fig 2) ;
– la présence de capillaires géants (plus de 5 fois le calibre normal)
va de pair avec une diminution hétérogène de la densité capillaire et
une désorganisation de l’arrangement des boucles dans la
sclérodermie systémique et les connectivites apparentées
RÉSULTATS
Ce dernier aspect, qui forme un paysage capillaroscopique très
caractéristique, est en fait le seul dont la présence ou l’absence revêt
une signification clinique utilisable sur le plan décisionnel. Il est en
effet tout à fait spécifique des connectivites, évoquant surtout la
sclérodermie systémique et les connectivites frustes du type CREST
ne validant pas encore les critères de l’ARA (American Rhumastism
Association) pour la sclérodermie systémique (tableau I). Il est
également extrêmement sensible et précoce, fournissant actuellement
le meilleur élément du dépistage des phénomènes de Raynaud à
risque de connectivite (tableau II). Ces éléments justifient la
réalisation d’une capillaroscopie périunguéale chez tout sujet
présentant un phénomène de Raynaud [7]. Par ailleurs, parmi les
sclérodermies avérées, l’existence d’une raréfaction capillaire intense
et d’une désorganisation importante contrastant avec une relative
discrétion des aspects dilatés est typique des formes sévères,
évolutives de la maladie, et contribue à l’établissement du
pronostic [13]. Enfin, il reste qu’une capillaroscopie normale permet
d’éliminer une sclérodermie systémique, mais pas les autres
connectivites éventuellement pourvoyeuses de phénomènes de
Raynaud (lupus systémique, syndrome de Sjögren).
Autres capillaroscopies
La conjonctive bulbaire est le site le plus ancien d’observation de la
microcirculation chez l’homme. L’excellente transparence du milieu
conjonctival et l’arrière-plan que constitue l’écran blanc de la
sclérotique offrent un contraste idéal pour la visualisation des
contours vasculaires. L’examen est facile à réaliser avec une lampe à
fente ou un biomicroscope grossissant environ 30 fois, et laissant une
distance frontale suffisante de 2 à 3 cm. Il permet d’observer les
réseaux à larges mailles des artérioles et des veinules qui leur sont
parallèles, mais qui apparaissent plus sinueuses, plus sombres et de
diamètre plus important. Les capillaires conjonctivaux sont plus fins
que dans la zone périunguéale, et surtout analysables près du limbe
cornéen. Du fait de nombreux artefacts liés aux traumatismes
chimiques et lumineux, les anomalies morphologiques des
microvaisseaux conjonctivaux, tortuosités ou microanévrismes,
n’apportent pas d’information suffisante pour être décisionnelles en
clinique. L’angioscopie conjonctivale est cependant un site privilégié
pour les études physiopathologiques portant sur le retentissement
microvasculaire du diabète, de l’hypertension artérielle ou l’analyse
de l’agrégation érythrocytaire in vivo [2, 5].
Au fond d’oeil, l’examen des vaisseaux rétiniens reste l’examen le
plus populaire en médecine, pour l’appréciation de l’état des
microvaisseaux. Cela tient à son accessibilité, un peu moins facile
que pour la conjonctive, et à sa situation mieux protégée des artefacts
susceptibles de perturber les microcirculations superficielles. Mais la
principale raison en est la noblesse du tissu rétinien irrigué ; c’est
ainsi que les anomalies dépistées ont ici une valeur propre
préthérapeutique locale (traitement au laser des rétinopathies
proliférantes), ce qui n’existe pas avec les autres capillaroscopies. Les
signes du retentissement de l’hypertension artérielle sont bien
codifiés, mais tardifs. Il en est de même dans la maladie diabétique
où l’angiographie fluorescéinique est beaucoup plus sensible [16].
La capillaroscopie peut être également réalisée au niveau de la
langue, de la gencive ou de la lèvre inférieure, mais l’examen de ces
différents sites n’a pas d’application pratique clinique [8, 15]. Au
niveau des téguments cutanés des membres inférieurs, les anomalies
notées dans les insuffisances artérielle et veineuse décompensées sont
importantes et leur quantification, possible depuis peu, pourrait
avoir des débouchés cliniques intéressants, notamment
pronostiques [3].
Capillaroscopies quantitatives
Sous l’angle de la recherche clinique, les visualisations directes que
sont les capillaroscopies ont, sur les techniques indirectes (laserdoppler,
PO2 transcutanée), le grand avantage de limiter les
difficultés d’interprétation si fréquentes dans le domaine complexe
de la microcirculation. Certaines techniques lourdes de
capillaroscopie ont permis, depuis une dizaine d’années, une
approche quantitative de l’hémodynamique capillaire.
– La mesure de la pression capillaire après canulation par
micropipette est très délicate, mais a permis à Tooke [19] de montrer
les variations physiologiques considérables de ce paramètre en
fonction de la position et de l’état vasomoteur du sujet.
– La mesure de la vitesse globulaire intracapillaire a d’abord été
réalisée en comparant le mouvement des globules rouges, observé
par vidéomicroscopie, à celui d’un objet virtuel à vitesse réglable
(flying spot). Elle est actuellement réalisée par étude de corrélation
croisée du signal vidéodensitométrique sur deux fenêtres
positionnées sur le trajet du même capillaire (système numérisé
Capiflowt), ou même par couplage d’un capillaroscope et d’un laserdoppler
focalisé (Cam 1t). Ces techniques ont permis à Fagrell
d’étudier le retentissement de la vasomotion et les différents facteurs
de l’hyperhémie réactionnelle postischémique au niveau même du
capillaire [1].
– L’évaluation du transport transcapillaire du fluorescéinate de
sodium injecté en bolus intraveineux est rendu possible par la
vidéodensitométrie de fluorescence. Cette technique a notamment
permis à Bollinger d’objectiver la précocité des anomalies de la
perméabilité capillaire dans la maladie diabétique [1].
– Les techniques d’analyse d’images permettent également la
réalisation de morphométries automatisées, qui constituent en fait
un prolongement des capillaroscopies d’utilisation courante [17]. Elles
permettent de quantifier les microangiopathies, pour leur
surveillance, ou la mise en évidence de seuils diagnostiques lorsque
les anomalies sont essentiellement quantitatives [16]. C’est en
particulier le cas de la capillaroscopie du cou de pied chez
l’insuffisant veineux chronique et de celle de l’avant-pied dans
l’artériopathie décompensée : la taille des capillaires augmente de
manière hétérogène et s’accompagne d’une raréfaction capillaire elle
aussi hétérogène, notamment dans l’insuffisance veineuse.
L’échantillonnage statistique de paramètres de taille et de densité
capillaires, sur de larges populations de capillaires, caractérise assez
précisément le retentissement microcirculatoire de ces
macroangiopathies pour prédire leur stade clinique [3]. Ces
techniques sont encore en phase de développement, et les premiers
résultats encourageants demandent encore confirmation.
Conclusion
Si la capillaroscopie périunguéale fait désormais partie des explorations
vasculaires de routine, les autres explorations restent encore du
domaine de la recherche clinique. Toutefois, les progrès importants des
techniques de vidéomicroscopie et de l’analyse d’images numériques
devraient rapidement entraîner un élargissement des applications des
techniques de capillaroscopie en médecine vasculaire.
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Angéiologie Capillaroscopies cliniques et quantitatives 19-1080
3
Patrick-Henri Carpentier : Professeur, laboratoire de médecine vasculaire, université Joseph-Fourier,
38043 Grenoble cedex, France.
© Elsevier, Paris Encyclopédie Médico-Chirurgicale 19-1080
19-1080
Toute référence à cet article doit porter la mention : PH Carpentier. Capillaroscopies cliniques et quantitatives. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Angéiologie, 19-1080, 1998, 3 p
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