Résumé.– Les artériopathies iatrogènes et toxiques, bien que décrites pour la plupart d’entre elles depuis
de nombreuses années, voire décennies, restent méconnues ou mal connues des médecins. Les troubles
vasomoteurs réalisés peuvent être très variables : phénomène de Raynaud, acrorhigose, livedo
réticulaire, ergotisme, syndrome amantadinique ou syndrome acrodynique. Les explorations
complémentaires n’aident pas à l’enquête étiologique. Les diagnostics positif et étiologique reposent
avant tout sur l’anamnèse. Les auteurs précisent les principales caractéristiques des artériopathies
induites par les dérivés de l’ergot de seigle, les bêtabloqueurs, les chimiothérapies antinéoplasiques, les
inhibiteurs calciques, les anorexigènes, le sumatriptan et d’autres molécules pour lesquelles les preuves
d’imputabilité sont moins bien établies. Sont également abordées les artériopathies iatrogènes non
médicamenteuses, toxiques professionnelles, et celles induites par la cocaïne ou les amphétamines.
Introduction
Les artériopathies iatrogènes et toxiques, bien que décrites pour la
plupart d’entre elles depuis de nombreuses années, voire décennies,
restent volontiers méconnues ou mal connues des médecins. Ceci est lié
à la multiplicité des causes, des prises médicamenteuses, des
interactions non toujours connues, et aux mécanismes parfois complexes
des troubles vasomoteurs induits par ces molécules [7, 10].
SÉMIOLOGIE CLINIQUE
La symptomatologie fonctionnelle, liée à une atteinte des gros
troncs artériels ou de la microcirculation, survient après une
période de latence de quelques heures à quelques semaines. Les
troubles peuvent survenir après plusieurs années de
consommation du médicament. Il peut s’agir d’un médicament
potentiellement toxique pour les artères mais dont la toxicité
n’apparaîtra que lors de la prise d’un autre médicament modifiant
son métabolisme hépatique (en particulier les molécules qui ont
une action inhibitrice enzymatique hépatique). Le phénomène de
Raynaud ne présente pas de particularité sémiologique par rapport
à un phénomène de Raynaud idiopathique, mais il ne comporte
souvent qu’une phase syncopale. S’il persiste, notamment lorsque
le diagnostic de toxicité médicamenteuse n’est pas fait, il peut
apparaître des troubles trophiques distaux des membres supérieurs
et/ou inférieurs. L’acrorhigose est un trouble vasomoteur banal, se
traduisant par une sensation permanente de froideur des
extrémités, sans rythme particulier. Le livedo réticulaire est parfois
associé à une acrocyanose distale (fig 1), et se traduit par des
marbrures cutanées, en mailles violacées, indolores, s’effaçant
partiellement lors de la surélévation du membre ou de la
vitropression. L’ergotisme : dans la forme majeure, le spasme
artériel diffus entraîne un refroidissement des extrémités, une
claudication invalidante des membres inférieurs et supérieurs, une
disparition de tous les pouls distaux et parfois des pouls
proximaux. Les douleurs permanentes des extrémités de type
causalgique associées à l’ischémie avaient déjà été décrites dès le
Moyen Âge sous le nom de « feu de saint Antoine ». Un spasme
veineux peut s’associer au spasme artériel, avec une cyanose
diffuse prédominante aux extrémités, et des veines sous-cutanées
difficiles, voire impossibles, à ponctionner. Dans sa forme mineure,
l’ergotisme associe une acrorhigose permanente et une érythrose
distale.
_Explorations complémentaires
Elles ne permettent qu’une appréciation morphologique des
lésions, mais n’aident pas à l’enquête étiologique. Les diagnostics
positif et étiologique reposent avant tout sur l’anamnèse.
L’échodoppler artériel peut objectiver un aspect spasmé des artères
de gros et moyen calibres, prenant un aspect filiforme avec baisse
des pressions de perfusions distales. Cet aspect peut être mieux
objectivé sur l’artériographie, mais celle-ci ne sera demandée qu’en
cas de doute diagnostique. La capillaroscopie peut montrer des
capillaires grêles, une lenteur du flux distal et une dilatation des
veinules. C’est souvent a posteriori que le diagnostic
d’artériopathie iatrogène ou toxique pourra être retenu, une fois
les autres causes éliminées. Les explorations fonctionnelles
vasculaires et l’artériographie permettront donc d’écarter une autre
artériopathie, et en particulier seront normales à distance de
l’accident en cas de trouble fonctionnel (spasme). Les explorations
complémentaires sont donc surtout utiles pour le diagnostic
différentiel et apprécier le retentissement.
Principales étiologies
des artériopathies iatrogènes
médicamenteuses
DÉRIVÉS DE L’ERGOT DE SEIGLE
L’ergotisme médicamenteux est lié à la prise de dérivés
d’ergotamine (fig 2, 3), alcaloïde aminoacide, antagoniste et
agoniste partiel des récepteurs adrénergiques et tryptaminergiques,
ayant une puissante activité vasoconstrictrice. Le tartrate
d’ergotamine est souvent utilisé pour traiter les migraines ou les
hémorragies d’origine utérine [16]. Ceci explique que le spasme
artériel induit est le plus souvent observé chez les femmes entre 30
et 40 ans, avec trois types de tableaux cliniques en fonction du
mode d’ingestion du toxique :
– intoxication chronique aboutissant à des taux sanguins toxiques ;
– ingestion aiguë de doses toxiques ;
– et réaction d’idiosyncrasie après l’ingestion d’une dose normale.
Toutes les artères peuvent être intéressées par le spasme induit par
l’ergotamine (aorte, artères rénale, mésentérique ou coronaire),
mais l’atteinte artérielle se traduit le plus souvent par une ischémie
des membres inférieurs [12]. Les symptômes gastro-intestinaux sont
souvent au premier plan à type de nausées ou vomissements. Les
troubles neuropsychiques avec asthénie, somnolence et confusion
mentale sont plus rares. L’ergotisme médicamenteux peut être
déclenché ou favorisé par une association médicamenteuse
notamment avec des antibiotiques. Il s’agit surtout des macrolides
à 14 atomes de carbone (triacétyl-oléandomycine, érythromycine)
qui, par leur très forte affinité pour le cytochrome P450 hépatique,
forment avec celui-ci un complexe stable qui diminue son activité
enzymatique. Seule la spiramycine, macrolide à 16 atomes de
carbone, ne possède pas cet effet d’inhibition enzymatique
hépatique et peut donc être associée sans risque aux dérivés de
l’ergotamine. Le délai d’apparition des signes vasculaires est très
court, de quelques heures à quelques jours après la prise
d’antibiotique et le tableau se limite habituellement aux atteintes
des membres sans atteinte viscérale. L’évolution est spontanément
favorable en quelques jours à condition que le traitement soit arrêté
rapidement. Le traitement repose sur l’arrêt des médicaments
incriminés et des perfusions de vasodilatateurs. D’autres
médicaments inhibiteurs enzymatiques hépatiques peuvent
entraîner, en association avec les dérivés de l’ergot de seigle, des
poussées d’ergotisme, notamment cimétidine, ranitidine, clofibrate
et phénylbutazone. La bromoergocriptine, autre dérivé de l’ergot
de seigle utilisé dans le traitement des maladies de Parkinson et
des adénomes hypophysaires à prolactine, a une toxicité vasculaire
fréquente (30 %), mais mineure limitée à un phénomène de
Raynaud [18].
BÊTABLOQUEURS
Il faut distinguer les phénomènes de Raynaud et l’aggravation
d’une claudication intermittente des membres inférieurs. On note
un phénomène de Raynaud chez 50 % des patients traités par
propranolol et chez 35 % de ceux traités par aténolol contre
seulement 5 % dans une population comparable d’hypertendus
traités par méthyldopa [19]. Ce phénomène de Raynaud est
généralement bénin, peut s’atténuer avec la poursuite du
traitement et n’amène pas forcément à modifier la thérapeutique
antihypertensive. Les traitements bêtabloqueurs ont été
initialement incriminés dans la dégradation d’une claudication
intermittente des membres inférieurs, essentiellement pour des
raisons pharmacodynamiques, l’effet alpha-1 stimulant
vasoconstricteur n’étant plus contrebalancé par l’effet bêta-2
mimétique vasodilatateur. Une méta-analyse récente, portant sur
11 essais contrôlés et plusieurs types de bêtabloqueurs
(propranolol, aténolol, métoprolol, pindolol, acébutolol...) n’a pas
retrouvé de modification du périmètre de marche significative chez
des patients sous bêtabloqueurs par rapport à ceux recevant un
placebo [19]. De nombreux patients souffrant d’une artériopathie
oblitérante athéromateuse des membres inférieurs ont également
une coronaropathie et/ou une hypertension artérielle qui peut
nécessiter la prise de bêtabloqueurs, et ces thérapeutiques ne
semblent plus devoir être contre-indiquées formellement. Toutefois
en cas d’artériopathie oblitérante à un stade plus avancé, stade III
ou IV de la classification de Fontaine, l’effet délétère même modéré
d’un traitement bêtabloqueur peut entraîner une aggravation aux
conséquences dramatiques sur la vitalité des membres inférieurs,
et dans ce contexte le bêtabloqueur doit être évité, voire arrêté. Le
syndrome des antiphospholipides qui associe des phénomènes
cliniques (thromboses artérielles et/ou veineuses, fausses couches
spontanées) et biologiques (présence d’anticorps anticardiolipine,
d’anticoagulant circulant de type antiprothrombinase et/ou d’une
fausse réaction syphilitique) peut être déclenché par la prise de
médicaments « inducteurs », notamment les bêtabloqueurs.
CHIMIOTHÉRAPIES ANTINÉOPLASIQUES
C’est essentiellement au cours des traitements des tumeurs
malignes germinales (testicule, ovaire) qu’on été décrits des
phénomènes de Raynaud (fig 1). Le principal agent cytotoxique
incriminé est la bléomycine utilisée seule ou en association avec le
cisplatine surtout, ou la vinblastine. Les phénomènes de Raynaud
surviennent chez 37 à 44 % des patients, sont le plus souvent
bénins et résolutifs en quelques semaines à l’arrêt du traitement
bien qu’il y ait eu quelques cas de nécroses digitales [23]. Il n’y a
pas de caractère distinctif en termes d’âge, d’histologie tumorale,
de dose totale de chimiothérapie, ou de fréquence de toxicité
cutanée de la bléomycine. L’artériographie objective un aspect
filiforme des artères digitales et un arrêt brutal de l’opacification
rendant invisible la vascularisation distale. La toxicité vasculaire
de la bléomycine repose sur plusieurs mécanismes :
– concentration de la molécule dans le tissu cutané (effet-dose
apparaissant en moyenne pour des doses cumulées supérieures à
400 mg) ;
– activation des fibroblastes cutanés démontrée in vitro ;
– majoration de la toxicité par des phénomènes de photosensibilisation
;
– et majoration de la toxicité par l’association à la vinblastine qui
a une similitude structurale avec divers alcaloïdes de l’ergot de
seigle.
Des observations de maladies veino-occlusives pulmonaires ont été
rapportées après administration d’agents antinéoplasiques,
notamment 5 fluoro-uracyle, doxorubicine et mitomycine, avec
parfois une latence particulièrement longue.
INHIBITEURS CALCIQUES
Des érythermalgies ont été rapportées avec de nombreux
inhibiteurs calciques parmi lesquels le vérapamil, la nifédipine et
la nicardipine [8]. Dans tous ces cas, la symptomatologie apparaît
quelques jours à quelques semaines après l’introduction du
médicament, est symétrique aux mains et aux pieds, et disparaît
quelques jours après l’arrêt du traitement. Cette symptomatologie
reste toujours très modérée, sans commune mesure avec les
érythermalgies primitives ou hématologiques.
ANOREXIGÈNES
Dans les années 1960, une augmentation brutale et importante
d’incidence des hypertensions artérielles pulmonaires
« primitives » en Suisse, en Allemagne et aux Pays-Bas, a été
rattachée à l’utilisaton d’un anorexigène amphétamine-like,
l’aminorex. Cette véritable épidémie d’hypertensions artérielles
pulmonaires « primitives » disparut après le retrait de cette
molécule. Entre 1981 et 1995, de nouveaux cas sporadiques
d’hypertensions artérielles pulmonaires « primitives » ont été
rapportés après consommation d’autres anorexigènes dérivés
d’amphétamines, la fenfluramine et la dexfenfluramine [5]. Une
étude cas-témoin multicentrique européenne récemment publiée,
portant sur 95 cas d’hypertension artérielle pulmonaire
« primitive » et 355 témoins appariés pour l’âge et le sexe, a
confirmé le potentiel toxique de ces molécules [1]. L’utilisation
d’anorexigènes, en particulier les dérivés de la fenfluramine, est
associée à un risque d’hypertension artérielle pulmonaire
« primitive » six fois plus élevé que chez les témoins, voire 23 fois
plus élevé en cas de consommation supérieure à 3 mois. Ce risque
est majoré en présence de facteurs de risque associés tels que :
– une histoire familiale d’hypertension artérielle pulmonaire ;
– une infection par le virus de l’immunodéficience humaine
(VIH) ;
– une cirrhose hépatique ;
– ou l’utilisation de cocaïne.
L’association dexfenfluramine-minocycline, chez une jeune fille de
14 ans sans pathologie associée, a induit une ischémie subaiguë
d’un membre inférieur, évoquant un spasme artériel, d’évolution
rapidement favorable.
SUMATRIPTAN
L’avantage théorique de cet agoniste sérotoninergique serait
d’exercer son action vasoconstrictrice préférentiellement sur les
vaisseaux méningés richement pourvus en récepteur 5HT1D. En
fait, il a été montré chez l’animal et chez l’homme que l’action du
sumatriptan sur les lits vasculaires périphériques est non
négligeable puisque après une injection sous-cutanée de 6 mg, la
pression artérielle systémique augmente de 20 %, la pression
artérielle pulmonaire augmente de 40 % et le diamètre des artères
coronaires diminue de 17 % [6]. Les accidents vasculaires rapportés
jusqu’ici sont rares et survenus pratiquement uniquement après
l’utilisation de la forme injectable : douleurs thoraciques
transitoires, arythmie auriculaire ou ventriculaire, infarctus du
myocarde.
AUTRES MOLÉCULES
De façon plus anecdotique ont été rapportées des anomalies
fonctionnelles des artères ou de la microcirculation après
l’utilisation de nombreuses molécules (tableau II) ; une acrocyanose
induite par l’imipramine, prescrit pour une énurésie chez un enfant
ou une dépression chez un adulte, disparaissant rapidement après
l’arrêt du médicament [2] ; induction de maladies lupiques avec peu
d’extension systémique et présence d’anticorps antinucléaires et
antihistone, au cours desquelles les phénomènes de Raynaud sont
fréquents, par de nombreuses molécules : procaïnamide, isoniazide,
hydantoïnes, dihydralazine. L’amantadine, molécule antivirale
actuellement moins utilisée dans la prévention ou le traitement des
infections par le virus Influenzae A et dans le traitement de la
maladie de Parkinson, peut entraîner, même à dose thérapeutique,
l’apparition d’un syndrome amantadinique fait d’un livedo
reticularis et d’oedèmes périphériques, régressant en 2 à 4 semaines
après l’arrêt du traitement. Il s’agirait d’une vasoconstriction
artérielle et veineuse. Sont rapportés les phénomènes de Raynaud
après utilisation abusive de vasoconstricteurs nasaux
sympathomimétiques (prednazoline, fénoxazoline) ; une
vascularite digitale leucocytoclasique induite par l’association d’
interféron alpha et d’interféron gamma au cours du traitement
d’une leucémie myéloïde chronique [21] ; une vascularite
leucocytoclasique au niveau des jambes s’installant 4 jours après
l’introduction de didanosine chez un patient infecté par le VIH,
avec épreuve de réintroduction positive et guérison complète à
l’arrêt du médicament ; un tableau clinique et biologique mimant
une vascularite systémique granulomateuse après prise d’alphaméthyldopa
pour une hypertension artérielle essentielle, de
résolution complète et spontanée en 3 semaines après arrêt du
médicament. Les acrodynies, particulièrement fréquentes en France
pendant la Seconde Guerre mondiale, étaient liées à la prise de
vermifuges mercuriels. Le syndrome acrodynique associait des
troubles vasomoteurs importants avec oedèmes rouges, moites et
froids des extrémités, causalgies parfois intenses, altération du
comportement et de l’affectivité, hallucinations avec hypotonie
musculaire, hypertension artérielle et tachycardie importante. On
retrouvait dans les urines des patients la présence de mercure.
Cette pathologie a disparu avec l’abandon de ces vermifuges. Les
estroprogestatifs de synthèse peuvent être à l’origine de
complications thrombotiques artérielles ou veineuses [22],
augmentation d’incidence des thromboses veineuses profondes des
membres, des embolies pulmonaires, des thromboses veineuses
intracérébrales, des accidents vasculaires cérébraux ischémiques ou
hémorragiques, et des infarctus myocardiques. Les mécanismes
impliqués sont multiples : troubles du métabolisme lipidique,
exagération du risque par la consommation de tabac, voire
mécanismes immunologiques. Toutefois, il n’y a pas eu
d’observation d’artériopathies vraies avec les estroprogestatifs de
synthèse [4]. Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de
l’angiotensine I (énalapril) ou les antagonistes des récepteurs de
l’angiotensine II (losartan) peuvent induire des poussées d’angiooedème
chez l’homme. Les inhibiteurs de la phosphodiestérase,
notamment la théophylline, peuvent entraîner des lésions
artérielles mésentériques. L’hypervitaminose D peut créer des
lésions dégénératives de la média des artères, des calcifications des
artères coronaires et la prolifération des cellules musculaires lisses.
Pour ces différentes associations entre une prise médicamenteuse
et un accident artériel, il faut souligner les difficultés d’imputabilité
car il existe souvent de nombreuses prises médicamenteuses
concomitantes, l’épreuve de réintroduction n’est pas toujours
possible et l’évolution vasculaire est parfois favorable malgré la
poursuite du traitement initialement incriminé.
Artériopathies iatrogènes
non médicamenteuses
Les agressions physiques artérielles directes, dont la fréquence
augmente parallèllement à la multiplication des gestes invasifs
d’exploration ou de traitement (ponctions, cathétérismes,
radiologie ou chirurugie endovasculaire) peuvent entraîner de
nombreuses complications telles que embolisations (notamment de
cristaux de cholestérol), dissections, anévrysmes et fistules
artérioveineuses. On peut également citer les spasmes artériels
déclenchés par l’injection de produit de contraste iodé ou par des
gestes chirurgicaux portant sur des artères proximales. Différents
produits utilisés pour colmater des brèches vasculaires contenant
du polyuréthane polymérisé peuvent induire des dégradations
importantes du mur vasculaire. La radiothérapie peut entraîner
une fibrose périartérielle et de nombreuses lésions pariétales
aboutissant à un vieillissement artériel prématuré : ischémie
pariétale par occlusion des vasa vasorum, altérations enzymatiques
pariétales facilitant l’infiltration par les lipoprotéines plasmatiques,
diminution de la production de prostacycline. Ces lésions créent le
plus souvent des sténoses pures (en 5 à 10 ans) ou associées à des
lésions athéromateuses (en 10 à 25 ans) dans les territoires artériels
intéressés par les champs d’irradiation [11, 17]. Il n’y a pas
proportionnalité entre l’importance de l’irradiation et le risque de
survenue de l’artériopathie. Des ruptures artérielles sont beaucoup
plus rares, survenant dans les semaines qui suivent l’irradiation
mais dans un contexte particulier : chirurgie traumatisante,
infection locale grave, tumeur évolutive. Tous les territoires
artériels peuvent être touchés, mais certaines caractéristiques
permettent de rattacher l’artériopathie à la radiothérapie : caractère
focal de la lésion, localisation en regard du champ d’irradiation,
lésions cutanées radiques sus-jacentes, et, à un degré moindre,
absence de facteurs athérogènes ou d’atteinte artérielle dans un
autre territoire.
Le traitement préventif repose sur l’utilisation de champs restreints
d’irradiation, les doses limitées de radiations, et la lutte contre les
facteurs de risque athérogènes, en particulier le tabagisme, les
dyslipidémies et l’hypertension artérielle.
Le traitement curatif est affaire de cas particulier en sachant que la
peau et les plans sous-cutanés sont souvent lésés par l’irradiation,
et que le caractère fibreux de l’artère elle-même pose des difficultés
techniques.
Le traitement chirurgical, pontage ou endartériectomie, est souvent
délicat, et plusieurs observations récentes suggèrent un bonne
efficacité de l’angioplastie transluminale.
L’administration d’oxygène aux enfants prématurés peut entraîner
des lésions irréversibles de vasoconstriction et de thrombose
artérielle rétinienne avec risque de cécité irréversible.
Des pressions élevées en oxygène en pression positive (PEEP) sur
de courtes périodes peuvent induire chez l’adulte des lésions
endothéliales artérielles pulmonaires.
Artériopathies toxiques
professionnelles
AMINES ALIPHATIQUES
Les amines aliphatiques telles que l’allylamine (3-amino-propène)
sont utilisées dans la synthèse de produits pharmaceutiques, en
particulier certains antifongiques, à usage humain ou vétérinaire.
La toxicité décrite après inhalation chronique d’allylamine est
centrée par une atteinte vasculaire, liée à l’accumulation
d’allylamine dans la paroi des artères musculaires et des artères
élastiques, avec hypertrophie des artères mésentériques,
pancréatiques, testiculaires ou pulmonaire.
MÉTAUX LOURDS
De très nombreux métaux lourds, contenus dans les aliments ou
les boissons (sélénium, chromium, cuivre, zinc, cadmium, plomb,
mercure), ou dans des produits inhalés (vanadium, plomb),
peuvent avoir une toxicité vasculaire. La plupart de ces effets
toxiques vasculaires passent par le blocage des canaux calciques,
et une action sur les protéines intracellulaires telles que la
calmoduline. L’exposition prolongée au cadmium, tant chez
l’animal que chez l’homme, favorise le développement de
l’athérosclérose et d’une hypertension artérielle. L’intoxication au
plomb, en particulier chez les enfants, entraîne par effet
vasoconstricteur direct une élévation de la pression artérielle.
L’utilisation de mercure inorganique induit une vasoconstriction
des artérioles glomérulaires afférentes. L’intoxication aiguë par
l’arsenic entraîne une vasodilatation. Les taux élevés d’arsenic
retrouvés dans la terre et l’eau de Taïwan seraient responsables
d’une forme sévère d’athérosclérose appelée Blackfoot disease,
artériopathie distale endémique associant des lésions
d’athérosclérose oblitérante et de thromboangéite. L’arsenic peut
également entraîner une hypertension portale non liée à une
cirrhose hépatique.
DÉRIVÉS NITRÉS AROMATIQUES
Le dinitrotoluène est utilisé comme précurseur dans la synthèse de
mousse de polyuréthane, d’enduits, d’élastomère ou d’explosifs.
Les travailleurs exposés quotidiennement présentent, en fonction
de la durée et de l’intensité de l’exposition, une athérosclérose
accélérée en rapport avec des dysplasies des cellules musculaires
lisses aortiques, et conduisant à une surmortalité d’origine
cardiovasculaire.
HYDROCARBURES POLYCYCLIQUES
Le benzo (a) pyrène peut induire une athérosclérose sans
modification du métabolisme lipidique, par altération des cellules
musculaires lisses de l’aorte et des gros troncs artériels due à
plusieurs mécanismes :
– inactivation de la protéine-kinase C ;
– liaison covalente à l’acide désoxyribonucléique (ADN) ;
– liaison à des récepteurs cytosoliques ;
– modification vers un phénotype proliférateur et migrant les
cellules musculaires lisses artérielles.
MONOXYDE DE CARBONE
Principalement contenu dans les gaz d’échappement des véhicules
automobiles, la fumée de tabac et le mazout, il entraîne des lésions
endothéliales et des cellules musculaires lisses, à l’origine d’un effet
athérogène et thrombogène [3]. La formation de carboxyhémoglobine
exagère les effets fonctionnels en réduisant le transport
d’oxygène vers les tissus.
DISULFURE DE CARBONE
Présent dans le goudron et le pétrole brut et utilisé pour la
fabrication des désinfectants, sa toxicité vasculaire passerait par la
production de thiocarbamate, ayant une puissante activité
antithyroïdienne, avec augmentation du risque de maladie
coronarienne de 2 à 3.
NICOTINE
Agent alcaloïde mimant l’action de l’acétylcholine sur les
récepteurs nicotiniques et réduisant la production de prostacycline
aortique, la nicotine augmente le risque d’infarctus myocardique,
d’infarctus cérébral, de gangrène distale et d’anévrysme artériel.
ACIDE HYDRAZINOBENZOÏQUE
Ce dérivé hydrazine d’un champignon peut entraîner l’apparition
de tumeur des cellules musculaires lisses de l’aorte et des grosses
artères ayant les caractéristiques morphologiques et
immunocytochimiques des léiomyomes et des léiomyosarcomes
vasculaires.
Artériopathies toxiques
non professionnelles
COCAÏNE
Aussi bien la cocaïne base extraite à partir des feuilles de coca, que
le « crack », forme chimique particulièrement pure de la cocaïne,
peuvent avoir via des effets sympathomimétiques indirects, une
toxicité vasculaire aux niveaux cardiaque et cérébral.
Sur le plan cardiaque [13], il s’agit de douleurs angineuses ou
d’infarctus myocardiques, survenant chez des hommes jeunes,
fumeurs, consommant régulièrement de la cocaïne et ayant peu
d’autres facteurs de risque vasculaires. Les symptômes surviennent
pendant les 24 heures suivant la prise de cocaïne et parfois au
moment du sevrage. Les marqueurs biologiques cardiaques sont
peu fiables, notamment les CPK MB car la cocaïne favorise
l’activité motrice, l’hyperthermie et les rhabdomyolyses. La
troponine cardiaque I semble un marqueur plus spécifique pour
estimer l’atteinte myocardique. Différents mécanismes
interviennent : vasoconstriction des artères coronaires, formation
in situ de thrombus, agrégation plaquettaire, athérosclérose
accélérée.
Sur le plan neurologique, il peut s’agir de crises d’épilepsie,
d’accidents vasculaires cérébraux hémorragiques ou ischémiques,
avec parfois un aspect d’artérite cérébrale angiographique [14]. La
vasoconstriction liée à la cocaïne a également été associée à des
avortements spontanés ou à des accouchements prématurés.
AMPHÉTAMINES
La prise orale, intraveineuse ou même nasale d’amphétamines
(métamphétamine, phénylpropanolamine) peut provoquer des
hémorragies ou des infarctus cérébraux liés à des lésions d’angéite
cérébrale. Ces molécules sont utilisées par les toxicomanes [15], mais
sont aussi contenues dans certains anorexigènes [9] ou des
décongestionnants nasaux.
Conclusion
Devant une artériopathie, l’existence d’un facteur iatrogène ou
toxique doit systématiquement être évoquée, même si le tableau initial
est sévère (ischémie aiguë). Le diagnostic repose avant tout sur
l’anamnèse, en se méfiant des prises médicamenteuses ou toxiques
multiples. Le bilan morphologique permet d’éliminer une autre cause
d’artériopathie. Le traitement comporte avant tout l’arrêt des
médicaments incriminés ou le retrait du toxique, et des perfusions de
vasodilatateurs.
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Patrice Cacoub : Professeur des Universités, praticien hospitalier.
Pierre Godeau : Professeur des Universités, praticien hospitalier.
Jean-Charles Piette : Professeur des Universités, praticien hospitalier.
Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, médecine interne 2, service du professeur Piette, 47-83, boulevard de
l’Hôpital, 75651 Paris cedex, France.
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